Adam/ Eve /gare de l'est

Scène 1

Hall de la gare de l'est. Des sièges en plastique. Un homme et une femme sont assis sur deux des sièges. La femme semble avoir envie d'engager la conversation mais l'homme est plongé dans ses pensées.

E : Je suis ici par hasard. Je vais au paradis. 

A : Ah bon ! Comme ca ! Le paradis ! (ton ironique) C’est sur quelle voie, pour le paradis ?

E : Voie 8. Le train part à 15h10 tous les jours. Pourquoi ? Vous y allez, vous aussi ? Qui êtes-vous ?

A. : Comment ca, qui êtes-vous ? Vous êtes bien curieuse, ma petite dame. (Plus bas) Non, non, moi je vais à Chalons sur Marne. (Plus fort) Et arrêtez de vous payer ma tête, d’ailleurs.

Eve : Moi ? Mais non. Je vais au paradis. (Tendrement) Dieu m’attend.

Adam ! (grommelant dans sa barbe) : encore une cinglée!

E écrit dans un carnet. A lit La croix.

E : Excusez-moi … (A. lève les yeux de son journal, l’ai agacé) On ne se serait pas déjà vu quelque part ? Votre visage ne m’est pas inconnu. Votre manière de grommeler non plus. Nous connaissons-nous ?

A : (ton rogue) : pas que je sache.

E : Pourtant… Votre voix aussi m’évoque quelque chose… 15h sonne à l’horloge de la gare. E se lève. Elle rajuste sa jupe, met son manteau, prend sa valise et se dirige vers la voie 8.

Scène 2

Eve et Adam. Même salle d’attente.

A : (ton moqueur et en même temps bon enfant) Eh bien ! Vous êtes encore là, vous ? Pas encore au paradis ?

E : Le contrôleur ne m’a pas laissée monter.

A : Vous n’aviez pas de billet ? Ah ben oui, forcément!  Vous savez, ma petite dame, le train, ce n’est pas gratuit !

E : Non, non, ce n’est pas cela. Mais il m’a dit que je ne pouvais pas monter seule.

A : Un silence.C’est bizarre, votre histoire. Vous n’avez pas besoin d’un chevalier servant pour prendre le train ! On est au XXIème siècle quand même !

E : Ah bon ? Déjà ?

A la regarde, interloqué.

E reprend, rêveuse : Il m’a dit que j’avais un billet pour deux, et que tant que je n’aurai pas retrouvé mon compagnon de voyage, je ne pourrai pas monter. (Un temps) C’est drôle, hein ? (petit rire) Comme si j’avais perdu une valise. J’ai égaré mon compagnon de voyage. (Elle rit de nouveau) Et je ne me souviens même plus de qui il s’agit !

Scène 3

Eve se regarde dans un petit miroir. A l’observe au dessus de son journal.

A : Vous avez de la famille à Chalons ?

E : Moi ? Non. Enfin… j’ai de la famille un peu partout, mais… A Chalons… En tous cas je ne m’en souviens pas. Pourquoi ?

A : eh bien, eh bien, c’est vrai que votre visage me dit vaguement quelque chose. Mais bon… Ca doit être une fausse impression. Alors je me disais que je connaissais peut-être un cousin à vous, ou quelque chose comme ça….

E : Et qu’est-ce que vous faites dans la vie ?

A : Je travaille chez Renaud. (Il revient à son journal, ayant peur d’être impoli, se sent obligé de continuer la conversation.) Et vous ?

E : Je travaille dans un magasin de fruits et légumes. J’adore les fruits… J’ai des pommes, d’ailleurs, dans mon sac. Vous en voulez une ?

A : Non merci. Je suis allergique aux pommes. Depuis tout petit. Désolé.

E : Moi, les pommes, ça me rappelle mon enfance. Quand j’étais petite, je vivais à la campagne. J’aimais bien. Il y avait une balançoire, aussi… J’étais heureuse, dans ce jardin. Si heureuse ! Mais c’est loin tout ça.

Adam sort une pipe de sa poche, la montre à Eve 

A: Ça ne vous dérange pas ?

E : Non, non, allez-y.

A : (bourre sa pipe et l’allume. Il se déride un peu.) C’est barbant d’attendre dans une gare, n’est-ce pas ?

E : Oh…

A : Ça fait déjà longtemps que j’attends, moi, en tous cas. Je suis venu bien trop en avance. Je fais toujours ça. Je ne peux pas m’empêcher d’être en avance partout.

E : Je sais.

A : Comment ça, vous savez ?

E : (Elle met la main devant sa bouche, confuse.) Excusez-moi, ça m’a échappé. Je ne peux pas le savoir, puisque nous ne nous connaissons pas. Pardon.

A lève les yeux au ciel.